jeudi 10 juillet 2008

Méfions-nous des évidences

Avez-vous vu, dernièrement, les bicyclettes se multiplier ?

Il n’est pas question ici de s’en offusquer, tant nous avons pu appeler cette évolution de nos vœux. Il est clair qu’il ne s’agit pas d’une vue de l’esprit. Comme nous vous l’avions indiqué, en France, pour la première fois de l’histoire post-industrielle, les ventes d’automobiles ont récemment manifesté le début d’un déclin, au même titre que le nombre de kms parcourus. Evènement totalement inédit, ce mouvement gagne également les Etats-Unis, autrement compromis dans une civilisation et un urbanisme « tout auto ».

Il semblerait qu’avec un pétrole flirtant avec les 150 $ le baril, le crash civilisationnel ne soit plus éloigné.

Mais alors plus du tout.

Et ensuite ?

Certes, nous ne nous retrouvons pas dans le modèle de société actuel, aujourd’hui voué à une remise en question brutale et profonde, mais devons-nous pour autant nous abstenir de réfléchir à la suite ?

Les prix de l’énergie, comme de tout ce qui en dépend – les produits alimentaires figurent au premier rang de cette liste – sont appelés à grimper encore davantage. Probablement deviendront-ils rapidement insupportables pour une bonne partie de la population mondiale, celle des pays développés comprise.

La question qui se pose est donc la suivante:

Comment les individus feront-ils face à la crise systémique déjà en cours ? Restaureront-ils l’empathie comme principe directeur ou laisseront-ils consacrer une société davantage individualiste, violente et inhumaine ?

Rappelons ici que la crise des subprimes, que nos médias européens ne couvrent qu’avec une timidité de violette compte tenu de sa gravité, est directement liée au renchérissement du précieux combustible.

Rappelons que les conflits pour le contrôle des ressources énergétiques n’appartiennent plus, depuis plusieurs années, au domaine de l’anticipation et qu’ils sont appelés à se multiplier.

Rappelons enfin que le système financier dérégulé – esprit même de la mondialisation actuelle, est directement impliqué dans le déroulement de cette crise. Comme le prédisaient certaines banques en 2005, le libre jeu de la spéculation promet de porter les prix d’une ressource aussi indispensable au fonctionnement du monde que nous connaissons à des sommets encore inconnus (le baril pourrait atteindre 300 $ d’ici quelques années).

Nombre d’éléments laissent entrevoir un retour du protectionnisme, un repli des civilisations sur elles-mêmes. En un mot, un avenir où les ressorts les plus décriés du néo-libéralisme seraient battus en brèche.

Mais au profit de quoi ?

Dans une société devenue aussi individualiste que la nôtre, quelle sera la réaction spontanée de tous ces ego laissés à eux-mêmes face à un modèle consumériste impossible à maintenir ? Notre modèle de société, loin de proposer une alternative, n’a fait qu’encourager la fuite dans le matériel face à l’anxiété existentielle qui frappe toute forme de vie consciente d’elle-même et de sa finitude.

Chassez le naturel, il revient au galop

Nous pouvons prédire que le réveil, déjà amorcé, sera difficile pour la plupart d’entre nous, peut-être même pour chacun d’entre nous. En effet, la conscience des difficultés à venir ne sera qu’une maigre consolation pour les oiseaux de mauvais augure, habitués à être mis à l’index par la majorité conforme et bien-pensante, lorsque personne ne pourra plus compter sur les grandes surfaces pour s'approvisionner en nourriture.

Et si la dictature écologique qui se profile à l’horizon, focalisant la vindicte sur les comportements individuels en taisant le déterminisme social à l’œuvre, ne devait être qu’une étape supplémentaire dans la division des forces de résistance, condition du parachèvement de l’emprise du système ?

Soudainement culpabilisés et laissés à eux-mêmes, les rurbains, bientôt privés d’emploi, déchus de leurs rêves de réussite conforme et promis à des difficultés matérielles aussi inédites qu’insurmontables, ne risquent-ils pas – la psychologie humaine étant ainsi faite – d’adopter une posture défensive, par définition agressive ?

Au contraire, ceux caractérisés de longue date par une sensibilité écologique affirmée – décroissants, détracteurs du développement durable de tous poils – ne seront-ils pas tentés d’endosser les nouveaux habits d’excommunicateurs qui leurs seront probablement proposés ?

Tous victimes d’une même réalité, même si certains auront d’avantage profité des largesses du système, devrions-nous passivement accepter un avenir où nous nous entredéchirerions ? Repliés sur nous-mêmes, devrions-nous nous-mêmes donner le coup de grâce à un concept d’intérêt général, de bien commun, déjà moribond ? L’ego est-il promis à la victoire sur l’humanité ? Qui, alors, gagnerait au change ?

« Gouverner, c’est prévoir »

Les puissants actuellement aux affaires l’ont toujours su. Peu de chances qu’ils l’aient oublié.

Si notre désir est de nous réapproprier ce pouvoir et l’avenir qui va avec, nous devons également faire œuvre prospective et surtout éviter de nous laisser diriger par nos affects, de tirer des conclusions dictées par l’instant.

Aux rurbains de comprendre leurs erreurs et de réfléchir au moyen de les corriger, d’adapter dès maintenant leur mode de vie sans honte ni rancœur. Les saisies immobilières risquent de gagner nos contrées. Peut-être cette large frange de la population pourrait-elle préfèrer faire œuvre collective, se donner les moyens d’habiter pleinement son cadre de vie tout en en supprimant la dimension pendulaire plutôt que de s’arc-bouter sur un individualisme qui la voue à la déchéance si ce n’est au caniveau ?

Et si, en un opportunisme opportun, tous ces esprits conformistes et conformes, se découvrant une âme de Che, envoyaient bouler pêle-mêle boulots, trajets quotidiens et remboursements d'emprunts à taux variables ? Et s'ils réinventaient les piqueteros, les mettant à la sauce suburb occidental, attendant de pied ferme les uniformes chargés de les expulser en affirmant :
"Nous ne bougerons pas, nous ne paierons pas ! Que les banquiers et le système financier aillent au diable, nous allons nous prendre en main. Nous binerons nos pelouses et écroulerons les deux tiers des maisons. Nous réinventerons le village et l'agriculture vivrière pour nous préparer à accueillir les hordes d'urbains fuyant des villes désormais invivables (sans parler des réfugiés climatiques)" ?
On peut rêver, mais j'en connais qui n'en mèneraient pas large.


Aux activistes écologistes, dans le même temps de se raisonner. Qu’ils n’oublient pas la raison première de leur prise de conscience, de leur engagement : Fut-il en temps utile le seul clairvoyant, quel intérêt aurait l’humaniste à exécuter une sentence contre l’humanité ? Certes, les lotissements ont rogné les surfaces agricoles et naturelles, dopant au passage ventes de voitures, comportements irresponsables et états d'esprit douteux, mais au moins sont-ils déjà possédés par le peuple. Que gagneront les idéologies alternatives à voir toutes ces surfaces accaparées par ceux qui sont déjà de grands propriétaires ? Là encore, rêvons que ces espaces deviennent un océan sur lequel reconstruire le collectif.

Nous sommes tous l’imbécile de quelqu’un. Qu’aurions-nous à gagner à laisser libre cours à la haine, à la revanche ?

Surtout, que risquerions-nous de perdre dans l’opération ?

Le pardon est le privilège des forts, et l’espoir se cultive autant qu’il peut dépérir.

Bon, je veux pas dire pour autant qu'il faudrait pardonner toutes les formes d'entêtement, hein, faudrait pas pousser non plus. Mais face aux difficultés, toutes les bonnes volontés - sincères - seraient bonnes à prendre, non ?

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Chapeau.
Tout dabord pour avoir réussi cet exercice délicat de lier la simple pratique du vélo urbain et les enjeux auquels l'humanité est confrontée.
Et ensuite pour ce message de raison concernant les rurbains, avec le mode de vie insoutenable qui les dépeind et l'attitude à adopter pour les esprits conscients, ceux qui n'alimentent pas (ou plus) le cirque politique qui ne fait finalement que retarder l'échéance d'un changement nécessaire.
Effectivement, je suis partagé entre le petit bonheur mesquin de voir que la grande majorité des gens conformes qui continuent à profiter largement du système s'en prennent ou vont s'en prendre eux aussi un peu sur la tronche alors que les vieux, les malades, les pauvres, les RMIstes, les chômeurs, les jeunes et les étrangers s'en prennent,eux, depuis déja fort longtemps,bien avant l'envolée du prix du pétrole, et la conviction comme toi, finalement, que c'est exactement ce qui fait le jeu du pouvoir : diviser pour mieux régner. Une division dans le temps qui effectivement affûte le repli sur soi et l'égoisme.
Peace.

Yobat, cycliste urbain et certainement l'imbécile de quelqu'un !