Personne n’aura raté la chute brutale des cours mondiaux du carburant. Beaucoup s’en seront réjoui et continuent d'apprécier de voir les prix baisser à la pompe - qui apprécie d'enrichir des humanistes notoires comme Totalfinaelf ? - même si d'une manière non proportionnelle.
Le yoyo est-il aujourd'hui en bout de course ? La crise énergétique n’était-elle finalement pas un canular monté de toute pièce et relayé par des sites et des blogs aussi catastrophistes que Velo2Ville ?
Un nombre d'individus plus réduit aura largement profité de ces mouvements rapides, d’abord causés par la spéculation. Il est plus que probable que d’autres épisodes de ce type sont à prévoir. D'ailleurs, le mouvement est déjà reparti à la hausse.
Ne s’agit-il pas là encore d’une occasion en or pour tous les exclus présents ou futur, pour tous ceux qui craignent pour leur retraite ? En achetant alors que les cours sont au plus bas une matière première vis-à-vis de laquelle l’économie mondiale est encore loin d’être sevrée, ces individus avisés ne s’assureraient-ils pas des lendemains qui chantent ? N'aurions-nous pas tous intérêt à nous convertir, ne serait-ce qu'à raison des quelques euros d'épargne dont nous disposons, à un capitalisme fort respectueux de notre futur intérêt bien compris, celui qui voudrait que nous cherchions à nous construire nos propres pilotis pour ne pas être submergés sous le tas de fumier auquel 2009 menace de ressembler ?
Peut-être n’y a-t-il pas lieu de pousser la réflexion aussi loin dans le registre métaphysique?Peut-être convient-il, plutôt que de se soucier de faire fructifier son kapital, de réaliser que l’enjeu véritable est ailleurs. Car que se passe-t-il lorsque les bases d’un système vacillent ?
Sauf à croire qu’ils participent d’une intoxication d’une ampleur inédite à l’échelle de l’humanité, les éléments d'analyse dont nous disposons nous invitent plutôt à envisager une modification radicale du monde connu. Il est vrai, rien ne permet pour l'heure d'exclure que les capitalistes dominant y perdront leur place.
A voir...
Certains pensent que l’état d’esprit que nous adopterons pour envisager cette grande transition conditionnera pour une grande part l’organisation sociale qui pourra s’y maintenir : A quoi peut-il bien servir d'avoir une cabine de luxe lorsque le bateau coule ? Si celle-ci donne droit à un des strapontins contingentés sur le canot de sauvetage, chercher à l'obtenir n'implique-t-il pas, une fois le naufrage consommé, que l'heureux bénéficiaire veuille empêcher vaille que vaille les moins chanceux de grimper à bord ?
Des fictions anticipatrices comme Mad Max et Gunnm, pour ceux qui connaissent, ne nous offrent-elles précisément pas une version capitaliste de ce que pourrait être le chapitre de l'histoire de l'humanité sur le point de s'ouvrir ? Au fond, Georges Monbiot, dans l’article suivant, dont nous vous proposons une libre traduction, ne suggère pas autre chose.
Pour la première fois, l’Agence Internationale de l’Energie avance une date pour le pic de production de pétrole.
Et ce n’est pas rassurant.
Georges Monbiot, The Guardian, 15 décembre 2008
Pouvez-vous imaginer une menace majeure à laquelle le gouvernement britannique ne se préparerait pas ? Il emploie une armée de fonctionnaires, d’espions et de consultant pour évaluer les chances d’attaque terroriste, d’écroulement financier, d’inondation, d’épidémie, et même de chute de météorite, et pour envisager la meilleure réponse déployer si cela venait vraiment à se produire. Mais il est un risque par rapport auquel il paraît plutôt décontracté. Il n’a jamais mené sa propre évaluation de l’état des ressources globales en pétrole ni de la possibilité qu’elles puissent un jour culminer avant d’entrer en déclin.
Lorsque vous lui posez la question, il produit systématiquement la même réponse : « les ressources globales en pétrole sont adéquate pour le futur prévisible.[1] » Il tire cette connaissance, comme il l’indique, des évaluations produites par l’AIE dans ses rapports intitulés « World Energy Outlook ». Dans son rapport de 2007, l’AIE semblait conforter la position du gouvernement. « Les ressources mondiales en pétrole, » indique-t-il, « sont jugées suffisantes pour satisfaire la croissance prévue de la demande à l’horizon 2030[2] » ; il ne se prononce cependant en aucune manière sur la situation au-delà de cette date et ne dit pas si ces ressources seront toujours suffisantes après 2030. En ce qui concerne le gouvernement, là s’arrête la pertinence de la réflexion. Comme la plupart des gouvernement des pays riches, le Royaume-Uni assimile les projections de l’AIE à la parole divine. Plus tôt cette année, j’ai soumis une requête au ministère britannique du commerce dans le cadre de la Liberté de l’information afin de savoir de quel plan d’urgence disposerait le gouvernement pour faire face à l’éventualité d’un pic de production en 2020. Je reçus la réponse suivante : « Le Gouvernement ne juge pas nécessaire d’établir de plan d’urgence spécifique pour l’éventualité d’un pic de l’approvisionnement en pétrole brut survenant entre maintenant et 2020[3]. »
Il conviendrait donc sacrément que l’AIE aie dit vrai. Dans le rapport sur le même sujet commandité par le ministère de l’énergie américain, l’analyste spécialisé Robert L. Hirsch concluait que « sans une adaptation rapide, les coûts économiques, sociaux et politiques » du pic de production de pétrole « seront sans précédent[4]. » Il continue en expliquant ce qu’il entend par « adaptation rapide ». Même une réponse d’urgence apportée mondialement « 10 ans avant le pic mondial » s’ensuivrait, écrit-il, « d’une pénurie des combustibles liquides à peine une décennie après le pic[5]. » Pour éviter l’effondrement économique mondial, c’est « une réponse organisée à la catastrophe 20 ans avant le pic[6] » qui s’impose. Si Hirsch a raison et que la production de pétrole culmine bien en 2028, alors nous sommes profondément dans la mélasse.
Je vous engage donc à graver ceci dans votre esprit : entre 2007 et 2008, l’AIE a radicalement modifié sa position. Jusqu’à l’édition 2008 de son rapport, l’agence se gaussait des individus qui prétendaient que les ressources en pétrole pourraient culminer avant de décroître. Dans son avant-propos à un livre publié en 2005, son Directeur exécutif, Claude Mandil, balayait les inquiétudes de ces derniers en les qualifiant d’oiseaux de mauvais augure. « L’AIE maintient depuis longtemps que rien de tout cela ne doit nous préoccuper » écrit-il. « Les ressources mondiales en hydrocarbures sont abondantes et fourniront facilement le monde en carburant tout au long de sa transition vers un futur assis sur des énergies renouvelables.[7] » Dans l’édition 2007 du World Energy Outlook, l’AIE avançait un taux annuel de déclin de l’extraction à partir des champs pétrolifères existants de 3,7 %[8]. Le rapport présentait ce chiffre comme un challenge à court terme, avec la possibilité d’une rupture temporaire de l’approvisionnement autour de 2015, mais indiquait qu’un investissement suffisant permettrait de palier toute pénurie. Le nouveau rapport, publié le mois dernier, est porteur d’un message très différent puisqu’il avance un taux de 6,7 %, ce qui signifie que le fossé à combler est bien plus large[9].
De manière plus significative, l’AIE suggère pour la première fois dans son rapport de 2008 que les ressources pétrolières mondiales pourraient trouver leurs limites. « Bien que le point culminant de la production totale de pétrole ne soit pas attendu avant 2030, il est prévu que la production de pétrole conventionnel… plafonne dans période antérieure à cette date[10]. » Cet euphémisme révèle une évolution majeure. Jamais auparavant une des prévisions de l’AIE n’avait envisagé explicitement le plafonnement la de production mondiale de pétrole conventionnel (précisément ce que nous voulons dire lorsque nous évoquons le pic pétrolier).
Mais le rapport n’apporte pas davantage de précision. Cela signifie-t-il ou non qu’il nous reste suffisamment de temps pour nous préparer à cette échéance ? Qu’entend le rapport par « dans la période antérieure à cette date » ? l’agence n’a jamais produit de prévision plus précise – jusqu’à maintenant. Pour la première fois, l’Agence, à l’occasion de l’interview que m’a accordé Fatih Birol, son chef économiste, a avancé une date. Et elle devrait glacer les sangs de toute personne comprenant ses implications.
Fatih Birol, le coordinateur du dernier rapport, est un homme de petite taille, intelligent et calme aux cheveux épais et gris et aux sourcils broussailleux. Il m’a expliqué que les nouvelles projections de l’agence s’appuyaient sur une étude majeure des taux de déclin des 800 plus grands champs pétroliers, qu’il a lui-même dirigée. Sur quoi alors se fondaient les précédents chiffres ? « Il s’agissait essentiellement d’une présomption, d’une présomption globale quant aux champs pétrolifères mondiaux. Cette année, nous avons analysé la situation pays par pays, champ par champ, tant sur terre qu’offshore. Nous avons mené un travail très détaillé. L’année dernière il s’agissait d’une supposition, et cette année il s’agit des conclusions de notre étude. » Je lui ai dit qu’il me semblait extraordinaire que l’AIE n’aie pas mené pareil travail plus tôt et ait appuyé ses prédiction sur un travail de divination informée. « En fait personne n’avait mené pareille recherche, » m’a-t-il dit. « Il s’agit là des premières données publiques disponibles[11]. »
N’était-il pas irresponsable d’avancer un taux de déclin de 3,7 % en 2007, alors qu’aucun élément solide ne permettait de l’affirmer ? « Non, nos précédentes prévisions en la matière ont toujours précisé qu’il ne s’agissait que de présomptions fondées sur les meilleures données scientifiques disponibles – et nous avons de la même manière toujours précisé que ces chiffres [pourraient se révéler] supérieurs à nos suppositions. »
Je lui ai alors posé une question à laquelle je n’attendais pas de réponse directe : pouvait-il me donner une date précise à laquelle selon lui l’approvisionnement pourrait cesser de croître ?
« S’agissant des pays non OPEP », me répondit-il, « nous estimons que, d’ici trois à quatre années d’ici, la production de pétrole conventionnel arrivera à un palier, et commencera à décliner. … Pour ce qui est du tableau d’ensemble, pour peu que l’OPEP investisse rapidement, la croissance de la production globale de pétrole conventionnel peut toujours se poursuivre, mais nous nous attendons néanmoins à un plafonnement autour de 2020, ce qui n’est bien évidemment pas une bonne nouvelle s’agissant de l’approvisionnement en pétrole. »
Autour de 2020. Ceci projette une lumière assez différente sur le sujet. La date de Monsieur Birol, si elle se révèle correcte, nous laisse environ 11 ans pour nous préparer. Si le rapport Hirsch est fondé, nous avons déjà raté le bateau. Birol dit qu’il nous faut une « révolution énergétique globale » pour éviter un crack pétrolier qui comprendrait (d’une manière désastreuse pour l’environnement) un mouvement massif vers l’exploitation des pétroles non conventionnelles, comme les sables bitumineux du Canada. Mais rien n’est encore intervenu à pareille échelle, et Hirsch suggère que même s’ils étaient décidés aujourd'hui, les investissement nécessaires et les modifications d’infrastructures ne pourraient pas être réalisés à temps. Fatih m’a confié « je pense que le temps n’est pas de notre côté sur ce coup-ci ».
Quand je l’interrogeais sur l’évolution de la position de l’Agence, il m’a rétorqué qu’elle n’avait jamais vraiment dit quoi que ce soit de différent. « Nous avons dit par le passé qu’un jour viendrait où nous serions à cours de pétrole. Nous n’avons jamais prétendu que nous disposions de centaines d’années de pétrole… mais ce que nous avons dit c’est que cette année, par rapport aux années précédentes, nous avons constaté que les taux de déclin sont significativement plus élevés que ce que nous avions relevé précédemment. Mais notre position consistant à présenter notre voie énergétique comme non soutenable n’a pas changé. »
Il s’agit bien sûr d’une absurdité destinée à sauver la face de l’Agence. Il y a une grande différence entre un taux de déclin de 3,7 % et un taux de 6,7 %. La différence est même encore plus grande entre le fait de suggérer que le monde est engagé dans une voie énergétique insoutenable – un énoncé auquel presque tout le monde peut souscrire – et le fait de révéler que les ressources en pétrole conventionnel sont susceptibles de plafonner en 2020. Si c’est là ce que suggérait l’AIE par le passé, ce n’était pas très clair.
Que faisons-nous maintenant ? Nous pouvons nous enfuir, ou nous pouvons espérer et croire qu’Hirsch se trompe lorsqu’il avance que 20 ans de préparation sont nécessaires, et mettre en œuvre un programme global de crise d’amélioration de l’efficience énergétique et d’électrification. Dans tous les cas le gouvernement britannique aurait mieux fait de commencer à établir des plans d’urgence.
[1] Eg DECC Press Office, 28th October 2008. Statement emailed to Duncan Clark at the Guardian.
[2]International Energy Agency, 2007. World Energy Outlook 2007, page 43. IEA, Paris.
[3]BERR, 8th April 2008. Response to FoI request, Ref 08/0091.
[4]Robert L. Hirsch, Roger Bezdek and Robert Wendling, February 2005. Peaking of World Oil Production: Impacts, Mitigation, & Risk Management. US Department of Energy, page 4. http://www.netl.doe.gov/publications/others/pdf/Oil_Peaking_NETL.pdf
[5] ibid, page 59.
[6]ibid, page 65.
[8]International Energy Agency, 2008. World Energy Outlook 2008, page 43. IEA, Paris.
[9]International Energy Agency, 2008. World Energy Outlook 2008, page 43. IEA, Paris.
2 commentaires:
pas tout suivi mais l'effet du pétrole moins cher n'enraye pas la situation dégradante dans laquelle se situe les industries automobiles....la demande de voiture est en chute libre, donc pas de production, donc moins de conso, pétrole cher ou pas....
En effet, c'est un peu difficile à suivre. Mais c'est vrai que ce n'est pas le prix du petrole qui est le danger c'est le petrole lui même. Rien que pour ça, il faut y reflechir. En passant, j'aime bien l'image de la DAB :)
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